Je ne suis pas doué(e) pour parler en public
La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité,
fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com
C’est fou à quel point on aime attribuer des talents aux autres plutôt qu’à soi en France ! Combien de fois ai-je entendu quelqu’un dire qu’elles/ils n’étaient pas « doué(e)s » en quelque chose (intelligence politique, leadership…). « Je ne suis pas doué » signifie (traduction) : « Je ne suis pas bon(ne) dans ce domaine ». Une fois que l’on décrète cela, on s’y enferme comme dans une cage et on se programme à ne pas réussir : comme à l’école, on n’aime pas la matière quand on n’y réussit pas ou on n’y réussit pas parce qu’on ne l’aime pas…
Sans ranimer le débat sur l’acquis et l’inné, rappelons que la première capacité de l’être humain est d’apprendre. La triade Volonté-Exercice-Maîtrise structure l’apprentissage, nourri par un carburant essentiel : le Plaisir. Ainsi, sans Volonté, l’Exercice (même intense) sera une perte de temps pour celui ou celle qui le pratique, et vice versa. C’est lorsqu’on arrive à combiner les deux, que l’on obtient d’abord de la satisfaction à avoir réussi à travailler dans la durée tel ou tel sujet, puis de la fierté à commencer à avoir de la maîtrise. C’est le fameux carburant Plaisir qui peut se transformer en passion, et permettre de viser les sommets de la discipline ! On raconte que, voulant un enfant prodige à l’image du jeune Mozart, le père de Beethoven l’enchaînait à son piano pour l’obliger à travailler… Il n’obtint jamais le résultat escompté (zéro volonté ou plaisir), mais fort heureusement ne dégoûta pas son fils de la musique.
En France, nous faisons très tôt un apprentissage négatif de la prise de parole en public. C’est un conditionnement collectif formaté en grande partie par notre système scolaire, qui décourage la participation, inculque la peur du « blanc » et du silence, confond la langue écrite et orale et encourage la « récitation ». En conséquence, chaque expérience vécue de prise de parole depuis notre plus jeune âge est potentiellement traumatique. Le plaisir éventuel qu’on pourrait tirer du fait d’être écouté est éclipsé par la peur du ridicule (qui tue dans nos contrées, ne l’oublions pas…).
« Et pourtant, elle tourne ! » (Galilée) : tout s’apprend, et parler en public aussi.
Pour commencer, il faut se focaliser sur le côté technique : par exemple, maîtrisez votre rythme en ralentissant (débit et mouvements). Vous verrez que cela éliminera 90% des hésitations et des « euh », car alors vous déconnectez votre vitesse de parole de la vitesse de pensée : vous avez le temps d’anticiper et de construire des phrases entières avant de les dire ! La lenteur vous donne aussi le temps de respirer, donc de projeter votre voix sans vous égosiller, et permet à vos interlocuteurs d’infuser vos paroles et donc de vous suivre.
Ensuite, il faut accepter que la prise de parole soit un acte aussi « naturel » et « facile » que de danser le ballet sur pointes : c’est tout l’art de celui ou celle qui a atteint la maîtrise que de nous faire croire que c’est anodin.
Enfin, il faut créer un ancrage positif pour amener le plaisir dans votre pratique de l’oral : pensez-le comme un jeu où l’objectif est de créer le plus d’attention possible, et non pas de donner le plus d’informations possibles. Le centre de toute prise de parole, c’est l’auditoire : soyez attentifs à votre interlocuteur pour pouvoir vous adapter et capter l’attention. « Ne vous lassez point d’écouter, on apprend à parler en écoutant les autres. » (Proverbe oriental).
A FAIRE
Être patient
De Démosthène à Steve Jobs, l’entraînement quotidien est la grande constante de ces grands orateurs. Travaillez un outil à la fois (posture, silence, voix, gestuelle, intonation…) et une fois qu’il est assimilé, rajoutez en un autre etc. Acceptez de vous tromper : c’est comme ça que l’on progresse vraiment.
Encourager le plaisir
Sans plaisir, vous aurez beau accumuler les outils, il n’en sortira rien de concret. Trouvez ce qui vous procure de la satisfaction quand vous parlez en public (l’écoute, avoir réussi à dire une phrase sans « euh »…) et capitalisez dessus. Faites le point après chaque prise de parole et focalisez sur ce qui a marché, ce qui vous rend fier. C’est ainsi qu’on apprivoise l’oral.
Être à l’écoute
Les bons orateurs, ne sont pas seulement ceux qui parlent bien, ce sont ceux qui connaissent leur auditoire… Entraînez-vous à une écoute différente : quelqu’un vous impacte fortement à l’oral, observez et analysez ce qui vous fait réagir ainsi (voix, gestes, regard), puis appliquez-le vous-même ! Vous verrez que vous ferez de même avec vos interlocuteurs, et vous pourrez vous adapter à eux en direct.
A ÉVITER
Croire aux méthodes miracles
Il y a autant de manières d’être bon à l’oral qu’il y a de personnes, car nous sommes tous différents. Il suffit de travailler : seulement c’est « pénible » et « long »… Malheureusement « qui ne tente rien n’a rien », donc fuyez ceux qui vous promettent monts et merveilles sans efforts.
Être dans l’auto-punition
Avant de commencer à apprendre, il faut être sûr qu’aucun « scénario caché » de vous punir n’est en cours d’exécution… Ainsi une personne que j’ai accompagnée m’a déclaré à la deuxième session : « Mais… ça marche vraiment ! Je suis ennuyé » A ma question « Que cela signifie-t-il pour vous ? », la réponse fut : « Comment me pardonner maintenant ? ».
Ignorer l’auditoire
Paradoxalement, on oublie de plus en plus que, dans toute communication, l’élément le plus important c’est l’autre… On juge le « bien parler » non pas sur son impact extérieur, mais son impact intérieur (j’ai bien tout dit, je n’étais pas trop stressé etc.), alors que ça devrait être l’inverse ! Concentrez-vous sur votre cible : on ne parle pas aux enfants comme on parle à des militaires…