« J’ai du mal à contrôler mes émotions »
La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité,
fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com
Aucun homme n’est libre s’il ne sait pas se contrôler. » (Pythagore). Dans le monde professionnel, il n’est pas toujours aisé de se « contrôler ». D’abord, car le climat émotionnel prédominant est celui des régions maussades. Cet état interne durable et partagé finit par se cristalliser et devenir un facteur corrosif qui nous ronge, et favorise des réactions négatives externes fortes : mauvaise humeur, agressivité. Ensuite, car on associe la manifestation d’émotions à quelque chose de négatif et de préjudiciable en entreprise, alors qu’au contraire, ça peut être un moteur formidable d’efficacité et d’impact !
Le problème ne vient pas de l’émotion elle-même, mais plutôt de sa gestion. Il faut trouver un juste milieu entre laisser s’exprimer à tout va ses émotions personnelles, et rester impassible en se refermant comme une coquille. Si la première attitude est aliénante pour les autres, la seconde diminue les capacités de résolution de problèmes, et surtout crée des conditions favorables au développement de la dépression, avec des résultats immédiats sur la santé (cinq fois plus de risque de décès selon une étude de l’Université de Stanford).
Les personnes fortement réactives sont particulièrement vulnérables, car elles « digèrent » les émotions lentement, et sont donc les premières victimes de leur « météo intérieure » grise (pluie, orage…). Les actifs, à la « digestion » émotionnelle rapide, changent d’état interne en fonction de leurs activités, et se retrouvent dans une course permanente pour échapper à leurs états négatifs. Ce sont les proactifs qui sont le plus à l’abri, car ils se « nourrissent » en avance des émotions positives, les « stockent » pour les ressortir en cas de besoin.
La solution de facilité, (particulièrement en France), serait de gérer ces états internes par des moyens exogènes (psychotropes). Seulement on ne résout pas le problème, on agit simplement sur le symptôme, ce qui n’est pas une stratégie de long terme gagnante. Les émotions en elles-mêmes ne sont pas une cause : elles sont la réponse profonde et authentique de notre être à l’alignement ou non de nos valeurs, notre éthique, nos idéaux par rapport à la réalité.
Il existe différentes stratégies de gestion des émotions :
– On peut les ignorer, dans ce cas elles « augmentent le son » jusqu’à bloquer la situation ou déclencher des réactions physiques fortes ;
– On peut les réprimer, elles explosent plus tard comme une cocotte-minute en surpression ;
– On peut les bloquer, elles déclenchent des maladies ;
– On peut les exprimer, pour les « décharger » sur les autres ;
– On peut les « digérer », pour prendre ce qui nous nourrit et évacuer ce qui est inutile ou toxique.
Une émotion ne se contrôle pas, elle se « pilote », exactement comme un processus de fission dans une centrale nucléaire. Il faut se doter d’une sorte d’instance, à la tête de notre salle de commande interne, qui est le « Faiseur de pluie », en charge de l’observation, de la reconnaissance et du tri des émotions. Car la première règle pour bien vivre avec ses émotions, c’est de les accepter et d’apprendre à les reconnaître véritablement (ainsi la « peur » se déguise souvent en « colère », sentiment plus « noble »). Après tout « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Albert Camus).
A FAIRE
Paramétrer le « Faiseur de Pluie »
Il commence par observer et étiqueter les émotions. Puis il équilibre les émotions aidantes et aliénantes pour obtenir un solde positif (comme pour votre compte en banque). Enfin, il oriente l’acceptation des émotions pour vous pacifier avec vous-même et obtenir la paix intérieure. Après tout, les émotions en soi ne sont ni bonnes ni mauvaises, ce qui compte c’est ce que l’on en fait.
Digérer « activement »
Après avoir identifié l’émotion, le « Faiseur de pluie » doit la rapporter au contexte : quelle est la situation et votre objectif ? Qui parle (« Personne », « Expert », « Fonction ») ? Comment utiliser au mieux l’émotion dans la situation ? Comment en évacuer l’excès pour qu’elle devienne gérable ? Vous ne vivrez plus vos émotions comme une charge, mais comme des flux à orienter.
Créer des émotions aidantes
Devenez proactif et trouvez ce qui vous nourrit et vous apporte de la joie. Cultivez ensuite ces passions, activités, moments, en les programmant et en en faisant des « ancres » qui vous ressourcent. Ces éléments positifs stimulent la production d’endomorphines, remède bio sans effets secondaires à la pollution émotionnelle ambiante !
A ÉVITER
Se juger
Il faut arrêter de juger ce que l’on ressent car cela n’a pas de sens ! Les émotions sont des réactions naturelles aux stimuli externes, comme les saisons sont résultat du climat dans une zone donnée. Il est urgent de les accepter comme telles et de ne plus les subir ou les fuir. Vous ressentez de la colère, de la haine, de la peur, de l’angoisse ? C’est que vous êtes prêts à réagir et à vous adapter.
Ignorer, réprimer, bloquer
Les émotions sont comme un gaz : plus c’est comprimé, plus le risque d’explosion est grand. Au contraire, il faut leur laisser l’espace pour se diffuser : ainsi elles seront plus « gérables ». Pour cela, prenez le temps de comprendre ce qui vous arrive, respirez, utilisez le silence comme un outil, et faites appel à votre « Faiseur de pluie » pour orienter le flux émotionnel vers la bonne cause.
Cultiver le pessimisme
C’est un fléau collectif culturel plébiscité en France, où se plaindre et voir la vie en gris est une spécialité nationale. Se plaindre nous met en valeur socialement, mais c’est le début d’une pente glissante, car il est difficile de s’en extraire à long terme, vu qu’on finit immanquablement par y croire. Il y a forcément quelque chose de positif dans votre quotidien pour contrecarrer la négativité ambiante !